- COMÉDIE AMÉRICAINE (cinéma)
- COMÉDIE AMÉRICAINE (cinéma)La «comédie américaine» ne prend son véritable essor qu’au début des années 1930. Même si elle entretient avec la «comédie musicale», née par définition avec le parlant, des relations rendues inextricables par la présence des mêmes réalisateurs, acteurs ou scénaristes, elle ne saurait se confondre avec cette sœur jumelle qui subit dans les années 1960 un déclin irrémédiable, alors que la comédie pure se prolonge de nos jours au prix de nombreuses transformations.La comédie, divertissement ou genre social?S’opposant aux genres épiques – western, films d’aventures ou de guerre –, qui exaltent l’esprit de conquête américain, la comédie se meut plus volontiers sur le terrain du quotidien, proposant une critique parfois acerbe des mœurs et des valeurs américaines. À côté du burlesque se développe, dès la fin des années 1910, une comédie de mœurs, vite devenue comédie mondaine dont les principaux artisans sont des réalisateurs tels que Harry Beaumont, James Cruze, Donald Crisp et surtout Cecil B. De Mille, qui signe L’Admirable Crichton (1919), Why Change your Wife? (1919) ou The Affairs of Anatole (1921). La subtilité du mélodrame mondain de Chaplin, A Woman of Paris (L’Opinion publique , 1923), exerce également une grande influence sur les comédies de Monta Bell (The King on Main Street , 1925), Harry d’Abbadie d’Arrast (Dry Martini , 1928), Clarence Badger (It , 1927) ou Malcolm St. Clair (The Great Duchess and the Waiter ).Mais c’est le réalisateur d’origine allemande Ernst Lubitsch qui invente la sophisticated comedy . La «sophistication» concerne moins le sujet que le milieu social, le décor et surtout le raffinement stylistique qui joue avec maestria des vertus de l’ellipse, de la litote et du double langage. Dès The Marriage Circle , Three Women , Forbidden Paradise (1924) ou L’Éventail de lady Windermere (1926), Lubitsch met en relation un contenu trivial à thématique sexuelle avec un comportement civilisé à l’extrême. Les allusions sexuelles sont clairement saisissables, avant que le corps du délit soit directement désigné. Les apparences de la morale sont ainsi sauves. Le parlant ne fait que renforcer ces dédoublements et détournements de sens: Haute Pègre (1932), Sérénade à trois (1933), La Huitième femme de Barbe-Bleue (1938)...Dans trop de ces classy comedies , le trait d’esprit relève plus souvent du dialogue que de la mise en scène. Ainsi de Private Lives (1931), Reunion in Vienna (1933), de Sidney Franklin, ou The Devil to Pay (G. Fitzmaurice, 1930), interprété par le très «british» Ronald Colman. C’est pourtant dans leur prolongement que se situent les grandes comédies de George Cukor: Dinner at Eight (Les Invités de minuit , 1933), Sylvia Scarlett (1935), The Women (Femmes , 1939) ou The Philadelphia Story (Indiscrétions , 1940).À l’opposé, une comédie plus populaire choisit de se situer dans des milieux moins aisés et ne répugne pas à des situations empruntées au bon vieux «burlesque». La sexualité y est plus ouvertement donnée d’emblée comme le ressort de l’intrigue, sans alibis, dans les limites de la loi sinon toujours du bon goût. Cette tough comedy correspond au dynamisme et à la modernité dans lesquels aime à se reconnaître le public américain. Outre The Front Page de L. Milestone (1931), c’est le cas de nombre de films interprétés par James Cagney (Blonde Crazy , Taxi , R. Del Ruth, 1932; Jimmy the Gent , M. Curtiz, 1934), ou son équivalent féminin et provocateur incarné par Jean Harlow dans Red-Headed Woman (J. Conway, 1932), Red Dust (La Belle de Saigon , V. Fleming, 1932).En 1934 s’opère symboliquement la synthèse entre sophistication et populisme. Avec It Happened one Night (New York-Miami ), Frank Capra donne naissance à la screwball comedy , qui correspond parfaitement au terme français de comédie américaine. Significativement, l’intrigue repose sur la rencontre entre une riche héritière et un journaliste à sensations d’origine modeste, inversant le mythe de Cendrillon si cher à la comédie antérieure. Capra fait de tous les «à-côté» de l’intrigue principale le commentaire de celle-ci et le véritable sujet du film. Par la suite, il développe le genre en s’orientant vers le film à message socio-politique (L’Extravagant M. Deeds , 1936; Vous ne l’emporterez pas avec vous , 1938; M. Smith au sénat , 1939; Meet Joe Dee – L’Homme de la rue –, 1941). S’épanouissant dans l’après-coup de la Dépression et parallèlement au New Deal, la comédie américaine demeurera longtemps un genre social, tant chez Mitchel Leisen (Hands across the Table , 1935; Easy Living , 1937), George Stevens (Vivacious Lady – Mariage incognito –, 1938), Garson Kanin (Bachelor Mother , 1938) que chez le Leo McCarey de L’Extravagant M. Ruggles (1934) et Cette Sacrée Vérité (1937). Plus proche de la comédie sophistiquée, Gregory La Cava (My Man Godfrey , 1936; La Fille de la Cinquième Avenue , 1937) demeure une exception. L’éloge du libéralisme, la lutte contre le nazisme puis contre le communisme font intimement partie du genre: Ninotchka (1939), To be or not to be (1942), de Lubitsch, Comrad X de K. Vidor (1940) ou Living in a Big Way (G. La Cava, 1947). Si un cinéaste tel que Howard Hawks semble étranger aux préoccupations sociales, ses meilleures comédies (Twentieth Century – Train de luxe –, 1934; L’Impossible Monsieur bébé , 1938) constituent une subtile réflexion sur l’évolution d’une Amérique passée de l’ère des pionniers à celle des savants et des techniciens.La recette tend à se figer à partir de la fin de la décennie, même si certains perpétuent le genre avec talent, tels Lubitsch (Cluny Brown , 1946), Cukor (Adam’s Rib – Madame porte la culotte –, 1949) ou Hawks (His Girl Friday , 1940; I Was a Male War Bride – Allez coucher ailleurs! –, 1948). Un nouveau venu, Preston Sturges, apporte, dans les années 1940, un renouveau. Sans message social à délivrer – même si son film préféré, Les Voyages de Sullivan (1942), se réfère ouvertement à Capra –, il réinsuffle au genre le dynamisme et l’esprit du burlesque primitif. Dans une époustouflante dépense d’énergie, il dynamite les lois d’un genre qui perd ainsi son rôle de miroir social. Miracle au village (1943), Infidèlement vôtre (1948) ou Mademoiselle Mitraillette (1949) portent moins sur la société américaine que sur sa représentation, la comédie faisant ainsi retour sur elle-même.Cet aspect iconoclaste se retrouve dans les comédies de Frank Tashlin, ancien gagman de Harpo Marx et dessinateur de cartoons (Artistes et modèles , 1955; Un vrai cinglé de cinéma – Hollywood or Burs –, 1956...). C’est lui qui développe le personnage de Jerry Lewis, d’abord associé à Dean Martin, entre burlesque et comédie moderne. Les films réalisés par Lewis lui-même se réfèrent également fréquemment au cinéma et à ses genres (The Ladie’s Man – Le Tombeur de ces dames –, 1961; The Errand Boy – Le Zinzin d’Hollywood –, 1962; Dr. Jerry et Mr. Love , 1963). C’est également dans cette veine burlesque qu’il faut situer Blake Edwards (Diamants sur canapé , 1960; la série issue de La Panthère rose , 1964; La Grande Course autour du monde , 1965...). Son ami Richard Quine oscille, lui, entre satire sociale (Une Cadillac en or massif , 1956) et sophistication sentimentale (Adorable Voisine , 1958; Une vierge sur canapé , 1964...), comme Vincente Minnelli entre La Roulotte du plaisir (1954) et La Femme modèle (1957).La personnalité la plus marquante de la période 1950-1970 est Billy Wilder, qui fait rire en 1953 avec une comédie située dans un «stalag» (Stalag 17 ). Quoique formé à l’école viennoise, Wilder se rapproche de la tough comedy , appelant «un chat un chat» et proposant une cruelle description des obsessions sexuelles et financières de la middle class américaine (Certains l’aiment chaud , 1959; La Garçonnière , 1960; Embrasse-moi, idiot , 1960; One, two, three , 1961; La Grande Combine , 1966; Front Page – Spéciale Première –, 1974).Dans une période plus récente, une autre personnalité a dominé la comédie américaine moderne, faisant triompher un «humour juif» déjà illustré dans le domaine burlesque par les Marx Brothers au début du parlant, Jerry Lewis ou Mel Brooks (Les Producteurs , 1969; La Folle Histoire du monde , 1981). Woody Allen crée à la fois un personnage original et un humour à fort soubassement culturel (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander , 1972; Comédie érotique d’une nuit d’été , 1980; La Rose pourpre du Caire , 1984...). Après une relative éclipse, la comédie américaine a retrouvé une nouvelle vigueur, soit qu’elle soit mise au service d’une idéologie yuppie (Le Secret de mon succès , H. Ross, 1986; Baby Boom , C. Shyer, Trois Hommes et un bébé , L. Nimoy, 1987; Working Girl , M. Nichols, 1988...), soit qu’elle renoue avec la veine satirique d’antan (Rosalie fait ses courses , P. Adlon, 1988; La Guerre des Roses , D. De Vito; Quand Harry rencontre Sally , R. Reiner, 1989...).La comédie musicalePar définition, la comédie musicale n’apparaît qu’avec le son, même si le célèbre film de la Warner The Jazz Singer (Le Chanteur de Jazz , A. Crossland, 1927) ne comporte que quelques chansons synchronisées avec l’image. Des spectacles comiques faciles entrecoupés de chants et de numéros musicaux existaient dès la seconde moitié du XIXe siècle (The Black Crook , 1866) aux États-Unis. Ils évoluent bientôt vers un genre issu du vaudeville et de la revue, jouant sur le déploiement du spectacle. Broadway en devient le centre dès le début du siècle. C’est ainsi que The Broadway Melody (H. Beaumont, 1929), transposé directement de Broadway à Hollywood, marque en fait le vrai départ du genre. Très vite, dans les années 1929-1930, on assiste à un véritable raz-de-marée de films chantants et dansants. Dans un ensemble de comédies familiales simplement entrecoupées de moments musicaux, The Dance of Life de John Cromwell (1929) et Applause de Rouben Mamoulian (1929) font preuve d’une véritable inventivité. Très vite, les «studios» vont profiter du musical , genre qui nécessite par excellence la conjonction de talents divers, pour développer leur image. La Warner reprend l’initiative grâce à Busby Berkeley, dont la chorégraphie donne au spectacle musical sa spécificité cinématographique avec 42e Rue (L. Bacon, 1933) et Les Chercheuses d’or de 1933 (M. LeRoy). Cete firme développe en particulier la comédie de coulisses, qui fait alterner intrigues autour du spectacle et numéros musicaux souvent situés à Broadway. Quant à B. Berkeley, il développe une chorégraphie toute personnelle fondée sur le nombre et les figures géométriques (Dames , R. Enright, 1934; Babes in Arms – Place au rythme –, Berkeley, 1939). La R.K.O. développe au contraire un style raffiné, voire sophistiqué (et nettement antigéométrique), dont Fred Astaire est l’emblème, avec ses partenaires, en particulier Ginger Rogers (La Joyeuse Divorcée , M. Sandrich, 1934; Top Hat , M. Sandrich, 1935). À La M.G.M., la comédie musicale ne constitue pas un genre parmi d’autres, mais bien la quintessence de l’esprit insufflé par Louis B. Mayer et Irving Thalberg, celui de la magnificence qui s’exprime dans la revue , dont le prototype apparaît dès le Hollywood Revue of 1929 (C. Reisner), suivi des divers Broadway Melody (1929, 1936, 1940). Paramount, avec Paramount on Parade (1930) que prolongent les millésimes 1936, 1937 et 1938, suit la même voie avec moins de splendeur, et la Fox paraît factice avec ses New Fox Follies (1930) et autres George White’s Scandals .Contrairement à ce que laisserait supposer l’opérette filmée, apparue dès 1930 avec les films de Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald (Parade d’amour , E. Lubitsch), et qui se prolonge jusqu’à la fin de la décennie (One Hour with you , E. Lubitsch, 1932; Love me Tonight , R. Mamoulian, 1932; La Veuve Joyeuse , E. Lubitsch, 1934), la comédie musicale n’est pas une annexe de la comédie américaine. Elle construit ses propres thèmes – en particulier celui de la troupe qui monte un spectacle qui s’achève triomphalement malgré les innombrables difficultés –, règles et figures. Elle développe en particulier un discours idéologique totalement autre. Du fait de la danse, le corps en est le centre. Et nombre de numéros musicaux jouent habilement sur le demi-dévoilement, où ce qui est caché se voit par là même désigné à l’imaginaire, sans oublier le voilé et le vaporeux. Au moins dans sa période classique des années 1940, dominées par des cinéastes tels que Vincente Minnelli (Meet me in St Louis – Le Chant du Missouri –, 1944; Ziegfeld Follies , 1946; Le Pirate , 1948), Charles Walters, ancien chorégraphe et décorateur (Easter Parade – Parade d’amour –, 1948; The Barkleys of Broadway – Entrons dans la danse –, 1949), George Sidney (Bathing Beauties – Le Bal des sirènes –, 1944), ni l’intrigue ni les situations ne font place au désir comme à la moindre allusion sexuelle directe: tout est affaire de refoulement et de sublimation (par le spectacle, le chant, la danse...). La comédie musicale est aussi puritaine que la comédie américaine est effrontée.Le producteur Arthur Freed (M.G.M.), qui a débuté en 1939, produit quelques-unes des plus grandes comédies musicales des années 1950, celles de Minnelli (Un Américain à Paris , 1951; The Bandwagon – Tous en scène –, 1953; Brigadoon , 1953), mais également Singin’ in the Rain – Chantons sous la pluie (S. Donen, G. Kelly, 1952) – qui confirme le style athlétique de Gene Kelly, renouvelant les règles établies de la chorégraphie – ou encore La Belle de New York (C. Walters, 1952) et Silk Stockings – La Belle de Moscou (R. Mamoulian, 1957). L’univers artificiel issu de Broadway et des studios n’est plus seul en jeu. La danse se déroule dans le monde quotidien de la rue, même reconstitué (Chantons sous le pluie ), ou oppose le quotidien et l’univers sublimé (Un Américain à Paris , The Bandwagon ...). La comédie musicale connaît alors son âge le plus classique, avec ses grands noms, des chorégraphes comme J. Alton, B. Berkeley, N. Castle, B. Fosse, M. Kidd, H. Pan, des scénaristes et paroliers comme B. Comden, A. Green, F. Goodrich, O. Hammerstein, A. Hackett, des musiciens tels que G. Gershwin, C. Porter, J. Kern, des acteurs et danseurs comme F. Astaire, J. Kelly, C. Charisse, J. Garland, D. Powell, B. Grable, D. O’Connor, E. Williams, J. Cagney, D. Day...Petit à petit, la comédie musicale se trouve de plus en plus confrontée à la réalité. Déjà, des non-spécialistes du genre proposaient d’étonnantes ouvertures: Howard Hawks fondait directement sur la sexualité et l’argent, les deux thèmes «refoulés» du genre, son Gentlemen prefer Blondes (1953), Joseph L. Mankiewicz mêlait à la comédie musicale le film noir et sa violence dans Guys and Dolls (Blanches Colombes et vilains messieurs , 1955), tandis que George Cukor y mêlait, lui, le drame et le suicide dans Une étoile est née (1954). Lorsque le genre se perpétue, même magnifiquement, c’est en désignant de plus en plus son artificialité, tels Brigadoon (1954) ou Gigi (1958), voire en la prenant pour sujet (My Fair Lady , G. Cukor, 1964). Bientôt, engluée dans la superproduction avec la crise des grands studios, la comédie musicale n’est plus que l’ombre d’elle-même, et devient un véhicule à stars factices, Julie Andrews ou Barbra Streisand. Seul West Side Story de Robert Wise, en 1961, constitue une tentative de valeur, surtout par le milieu choisi, la musique de Leonard Bernstein et la chorégraphie de Jerome Robbins. Tentative de renouvellement intéressante même s’il reste que plus rien ne rattache ce film au genre historique. La voie est ouverte à une conception plus floue, sans règles précisément établies, le film musical. On y trouve encore des traces du genre ancien (All that Jazz , B. Fosse, 1979; Chorus Line , R. Attenborough, 1985), mais les concerts filmés (Woodstock , M. Wadleigh, 1970; The Last Waltz , M. Scorsese, 1978), parfois destinés uniquement à mettre en valeur un groupe (Rolling Stones , A. Ashby, 1981; U2 Rattle and Hum , P. Joanou, 1988) ou un individu (Imagine: John Lennon , A. Solt, 1988), même romancés (Mick Jagger: Running Out of Luck , J. Temple, 1985), n’ont plus guère à voir avec cet ensemble correspondant au rêve de tout un peuple, puis du monde occidental dans sa quasi-totalité, que fut la comédie musicale pendant un quart de siècle.
Encyclopédie Universelle. 2012.